06/12/2006

La vie cachée des enfants des sectes

Pour prévenir les dérives, une commission d'enquête parlementaire préconise de limiter l'enseignement à domicile. « La Croix » rapporte les témoignages de deux jeunes femmes ayant vécu, enfants, dans une secte 
Membres de la communauté "Tabitha's Place", qui fait partie du mouvement fondamentaliste américain Communauté du Royaume du Nord-est des Frères de Plymouth, dont les fidèles affirment suivre strictement la Bible. Le 21 novembre 2006, au manoir de Navarrenx, à Sus 65.
Interdiction d'écouter de la musique, de regarder des films, de sortir cheveux au vent, de porter des pantalons… La scène ne se passe pas chez les talibans, mais en France. Née dans une secte prônant l'application à la lettre des versets de la Bible, Nadège, aujourd'hui âgée de 28 ans, a dû elle aussi se plier à ces règles durant l'enfance.
Jusqu'à son « évasion » réussie en 1999. « Petite, je ne trouvais rien à redire à tout cela, confie-t-elle aujourd'hui. Comment aurais-je pu ? Je vivais là depuis ma naissance, entourée de mes parents, grands-parents, oncles et cousins. J'étais persuadée que nous étions les seuls dans le droit chemin et qu'un "étang de feu" attendait tous les autres. »
À l'adolescence pourtant, Nadège commence à remettre en question les valeurs de la secte. Et cela, notamment grâce aux amitiés qu'elle lie au collège. « Je ne savais pas quoi répondre, raconte-t-elle, quand mes copines me demandaient pourquoi moi et mes cousins ne pouvions pas aller à la piscine, manger à la cantine, faire des sorties scolaires, assister à certains cours de biologie. » À la fin du collège, la sanction tombe : le chef de la communauté lui interdit de poursuivre ses études. Tirant du même coup un trait sur le rêve de l'adolescente : devenir infirmière.

PLONGÉE DANS LA DÉPRESSION

La décision plonge Nadège dans une profonde dépression. Elle pense même au suicide. « Je n'osais pas dire, tout haut, mon dépit. Cela m'aurait fait courir le risque d'être mise au ban de la communauté. Et quand on a très peu de contacts avec l'extérieur, c'est un risque qu'on ne prend pas. »
Sa chance ? Recueillir un jour les confidences de son cousin, bien décidé, lui, à tout faire pour s'évader de la communauté en vue de se marier avec la femme qu'il aime. Quelques mois plus tard, c'est au tour d'une cousine d'émettre un souhait identique, lors d'une discussion avec Nadège. À partir de ce jour, les trois jeunes décident de mettre au point un plan d'évasion. Au final, une dizaine de jeunes s'échapperont de la communauté le même jour. Nadège avait alors 20 ans. « Nous avions préparé notre départ pendant plus de six mois : il fallait trouver un petit boulot pour survivre, demander à nos connaissances de nous héberger. Le tout sans que rien ne filtre. »
Une fois le pas sauté, la jeune femme se retrouve isolée, sans repère. « Pendant longtemps, je n'ai plus su ce qu'était le bien ou le mal, témoigne-t-elle. J'étais totalement déboussolée. Heureusement, j'ai fait la connaissance de mon mari. Il a été d'un très grand soutien. » Aujourd'hui maman, Nadège souffre de vivre coupée des siens, restés dans la communauté. Et pense surtout à tous les enfants de la secte qui n'ont plus, comme à son époque, la chance d'être scolarisés. Ils sont désormais éduqués à domicile. « Moi, c'est l'école qui m'a sauvée, assure-t-elle. Comment ces petits pourront-ils, sans cela, développer un quelconque esprit critique vis-à-vis du reste du groupe ? »

"COMPLÈTEMENT HYPNOTISÉE PAR MON CHEF"

Changement de décor. La secte dans laquelle est entrée Hélène à 16 ans, n'avait, elle, a priori rien d'inquiétant. Elle n'avait en tout cas rien de commun avec les principes stricts et la vie en communauté imposés à Nadège. « Le gourou nous demandait simplement de le retrouver le dimanche dans un atelier d'artiste de la capitale pour y apprendre les principes chamaniques », se souvient Hélène, aujourd'hui âgée de 24 ans.
Et pourtant. L'adolescente, qui y suivait sa mère tous les week-ends, a dû, elle aussi, s'initier aux « lavages de mémoire ». « Le leader du groupe m'expliquait comment totalement me couper de mon père, qui venait de divorcer d'avec ma mère. Il m'assurait que je vivrais mieux en oubliant mon passé. Il a d'ailleurs réussi : j'ai fini par ne plus vouloir le voir. » À la demande du gourou, il fallait aussi à la jeune fille « découpler ses convictions de son "être intérieur" », au risque de développer une double personnalité. Le tout afin de « vivre plus intensément le moment présent ». « Je ressortais épuisée des dimanches passés à pratiquer ce genre d'exercices, raconte Hélène. Je finissais aussi par être complètement hypnotisée par notre chef. »
À l'époque, la jeune fille passe pour être une collégienne sans histoire. Les enseignants ne notent rien d'anormal et se disent même plutôt satisfaits de ses résultats scolaires. « Je ne parlais à personne du chamanisme. J'éprouvais une certaine fierté à être seule à en connaître les principes et à les appliquer. » Le gourou ne s'en tient pas à la seule manipulation mentale. L'adolescente consent à une séance « d'harmonisation des chakras », consistant à se dénuder pour se prêter à divers massages. Choquée, mais mise en confiance par le leader du groupe, Hélène se convainc de la normalité de tels attouchements et n'en parle à personne.

"J'AI RÉALISÉ QUE C'ÉTAIT N'IMPORTE QUOI !"

Sa grande chance, paradoxalement, sera d'être l'une des adeptes préférées du gourou. Convaincu de son intelligence, il conseille à la jeune bachelière d'entamer des études de psychologie dans le but de devenir une praticienne d'obédience « chamanique ». Mauvais calcul. « En fac, j'ai découvert l'extrême rigueur des théories de Freud, Jung et Lacan, comparées à tout ce qu'il m'enseignait, précise Hélène. À toutes mes questions gênantes, il m'assurait que le mystère était la cause de tout. J'ai réalisé que c'était n'importe quoi ! » Alors que la jeune femme commence à douter du sérieux des valeurs véhiculées dans la secte, sa mère, elle, s'y implique davantage.
Sur les conseils du gourou, cette dernière vend son pavillon, part en préretraite, quitte son compagnon et décide de fonder un groupe « chamanique » en province. Doutant à son tour du bien-fondé de son choix, la mère d'Hélène souffre alors d'une profonde dépression qui la mène au suicide en 2005. Âgée de 23 ans, Hélène traverse à ce moment-là une crise longue et douloureuse. « Tout d'un coup, je me suis retrouvée totalement vide et hantée par la peur du suicide, explique-t-elle. Heureusement, mon père et de ma soeur m'ont apporté un réel soutien. C'est grâce à eux que j'ai pu me reconstruire. »
Marie BOETON
in La Croix le 18/12/06

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