02/04/2008

Comment les sectes influencent les gouvernements européens

Journal en ligne Bakchich.info / mercredi 2 avril 2008
par Serge Faubert
MODES DE VIE


Sectes, ce sont les responsables politiques qui en parlent le mieux

© Morvandiau


Exclusif : « Bakchich » a pu lire le rapport annuel de la Miviludes avant qu'il ne soit rendu public demain. Un document qui révèle en particulier l'ampleur du lobbying sectaire auprès de l'OSCE, une des plus importantes institutions européennes. Extraits de ce chapitre brûlant

Demain, jeudi 3 avril, le président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) Jean-Michel Roulet, rendra public le rapport annuel qu'il a remis ce matin au premier ministre.

En exclusivité, Bakchich livre à ses lecteurs un des passages les plus saillants de ce document : le lobbying des sectes auprès d'une institution mal connue du grand public, mais ô combien importante, l'Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe, (OSCE). Regroupement de 56 États, l'OSCE a pour mission la prévention des conflits et la gestion des crises à l'intérieur de son espace régional.

Cette conférence permanente est une cible privilégiée des sectes depuis plusieurs années. Elles y mènent un combat d'influence pour obtenir, sinon une reconnaissance, du moins la respectabilité qui leur fait défaut dans de nombreux pays d'Europe.

Une entreprise menée dans la plus grande discrétion. Les sectes s'abritent systématiquement derrière des associations internationales dont l'intitulé anodin ou ambigu abuse plus d'un interlocuteur. Résultat, elles ont réussi, plus d'une fois, à se faire délivrer des brevets d'honorabilité.

À la lumière des investigations menées par la Miviludes, on comprend mieux comment la directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, Emmanuelle Mignon, a pu, il y a quelques semaines, affirmer que les sectes étaient un « non-problème ».
« Incertitudes sur l'avenir de la Miviludes »

Si l'actualité récente, avec la séquestration présumée, en Sardaigne, d'une ancienne adepte de la scientologie par d'autres membres de l'organisation, a remis sur le devant de la scène les dérives sectaires, l'avenir de la Miviludes demeure incertain. Sa mission va à rebours du concept de laïcité positive qu'entend promouvoir Nicolas Sarkozy. Pas question de pointer du doigt telle ou telle association au moment où l'on s'apprête à élargir le spectre des mouvements religieux.

La ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, a déjà donné le ton. Depuis plusieurs mois, elle ignore superbement la Miviludes. Son président, comme Bakchich l'a déjà raconté, en est réduit à la lecture de la presse pour se tenir informé des réunions ministérielles consacrées au problème des sectes.

À cette incertitude sur le sort de la Miviludes est venu s'ajouter, ces dernières semaines, les revers enregistrés par deux figures du combat anti-sectes. La première, le député UMP Georges Fenech, ancien juge d'instruction – il a notamment instruit le procès lyonnais de l'Église de scientologie au début des années 90 –, initiateur des trois commissions d'enquêtes que l'Assemblée nationale a consacrées aux sectes, a vu son élection dans le Rhône être invalidée pour une irrégularité mineure dans son compte de campagne. La seconde, Jean-Pierre Brard, député de Seine Saint-Denis, et maire de Montreuil depuis 1984, a perdu l'hôtel de ville lors du dernier scrutin.

Au sein des Renseignements généraux, la situation n'est pas davantage réjouissante. Le rapprochement de ces derniers avec la DST remet en question les attributions de la section RG chargée de la surveillance des mouvements sectaires. Celle-ci pourrait être dépossédée de sa mission de renseignement et basculer dans la sécurité publique.

Bref, les sectes peuvent se frotter les mains. À ce tarif-là, c'est sûr, elles deviendront enfin un « non problème ». S.F.
EXTRAITS DU RAPPORT

« Une tribune idéale pour être instrumentalisée : la conférence annuelle d'examen de la dimension humaine et autres conférences du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH)

L'OSCE est un vaste forum de consultations et de négociations pour les 56 États participants (Europe occidentale, centrale et orientale, États-Unis et Canada). Elle a été conçue de telle sorte que les sociétés civiles des pays membres puissent exprimer leurs doléances lorsqu'elles estiment que leurs libertés fondamentales sont bafouées. Ce principe permet une bonne défense des libertés individuelles là où elles sont menacées.

Le BIDDH est la principale institution chargée de la promotion des droits de l'homme et de la dimension humaine dans l'espace OSCE. La conférence annuelle fait le bilan de la mise en œuvre des engagements pris par les pays participants dans ces domaines, afin d'en dégager des orientations.

Cette réunion d'experts – fonctionnaires internationaux et personnalités qualifiées de haut rang – se déroule sur deux semaines. Elle est ouverte aux représentants de la société civile qui peuvent s'exprimer à égalité avec les délégués des États dans le cadre de plusieurs sessions thématiques parmi lesquelles celles concernant les droits fondamentaux. Toute ONG (Organisation non gouvernementale) est libre de s'exprimer autant de fois qu'elle le souhaite, à la seule condition de s'inscrire au préalable et de respecter un temps de parole de cinq minutes maximum. (…)
Obtenir une caution internationale

Une plateforme institutionnelle de prestige, de surcroît à l'audience internationale, et où chacun peut s'exprimer librement. Le décor ainsi planté en fait le lieu idéal pour faire entendre sa voix en bénéficiant du contexte de respectabilité immédiatement associé à un tel événement. Et les mouvements sectaires l'ont bien compris, puisqu'ils s'affichent sans le moindre scrupule sur un pied d'égalité avec d'autres ONG qui expriment légitimement leurs souffrances.

Le seul but consiste à faire acter leurs interventions. Celles-ci, ainsi dotées d'une caution internationale, pourront ensuite être aisément instrumentalisées par leurs alliés, mais aussi, avec un peu de chance ou un coup de pouce au bon endroit, être reprises par tel ou tel rapport officiel.

(…) Les ONG-phares du réseau d'influence

(…) 1 - Human Rights Without Frontiers / Droits de l'Homme sans Frontières (HRWF) [1]

Cette ONG se dit « indépendante de tout mouvement politique, idéologique ou religieux » et a pour objet de « promouvoir la démocratie, l'autorité de la loi et les droits individuels partout dans le monde par tous les moyens appropriés ».

HRWF, qui demandait en 2007 à la tribune du BIDDH le rattachement de la MIVILUDES au Bureau des cultes du ministère de l'Intérieur et l'arrêt du subventionnement des associations « anti-sectes » (cf. infra), s'affiche principalement comme l'avocat des minorités religieuses et s'applique, entre autres, depuis plusieurs années, à dénoncer les agissements de la France et des autres pays investis dans la lutte contre les dérives sectaires.(…)

2 - La Fédération Internationale Helsinki pour les Droits de l'Homme (FIH) /International Helsinki Federation for Human Rights (IHF) [2]

Fondée en 1983, cette ONG a pour but de promouvoir le respect des engagements des pays membres de l'OSCE en matière de droits de l'homme.

Familière de l'enceinte du BIDDH, elle fait partie des ONG assidues à dénoncer les politiques de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Ses points de vue sont systématiquement repris par les mouvements sectaires et leurs alliés, et ce d'autant plus que son appellation prestigieuse fonctionne comme un label de référence qui fait grande impression. (…)

3 - The Institute on Religion and Public Policy (IRPP) [3]

(…) L'IRPP est une ONG internationale se revendiquant « interreligieuse », dont le but est de veiller au respect de la liberté de religion et de la démocratie dans le monde.

On retrouve, dans son conseil d'administration, M. Richard Land [4], président de la Convention des Baptistes du Sud [5], par ailleurs vice-président de l'« United States Commission on International Religious Freedom » (USCIRF) [6], ainsi que M. David Little, professeur à la « Harvard Divinity School ». Ce dernier avait fait partie de la délégation américaine enquêtant sur la liberté religieuse dans le monde, reçue par la MILS en avril 1999. Il était également signataire, tout comme M. Willy Fautré de « Droits de l'Homme sans Frontières », d'une lettre ouverte au Président de la République Jacques Chirac, publiée dans France Soir le 20 avril 2000, à l'initiative de l'Omnium des Libertés [7], demandant la dissolution de la MILS. Pendant un temps M. Benjamin A. Gilman, ex-sénateur dont l'un des contributeurs de la campagne électorale était l'un des principaux dirigeants de la Scientologie, [8] siégeait aussi au conseil d'administration. (…)

Conclusion

Le réseau d'influence pro-sectaire au plan international, à l'OSCE comme ailleurs, mais aussi au plan national, comme cela a été expliqué dans le rapport 2006 de la MIVILUDES, est somme toute assez restreint. Ses animateurs se comptent sur les doigts des deux mains.
Un réseau restreint, mais doté de moyens considérables

Mais sa disponibilité et ses moyens sont sans commune mesure avec ceux dont disposent les institutions et les associations qui se mobilisent contre les dérives sectaires. Il faut donc compter avec la force de ces francs-tireurs à plein temps dont les discours… et les « caisses » sont régulièrement alimentés.

Cependant, au fil du temps, leurs interlocuteurs de l'OSCE sont de moins en moins dupes. L'effet de répétition finit par s'user si l'on s'en sert trop, et à la différence des comiques qui savent ne pas en abuser au risque de ne plus provoquer le rire escompté, les stratèges sectaires ont du mal à renouveler leur discours : ils ressassent d'une année sur l'autre les mêmes propos accusateurs sur la politique française, les listes et les rapports parlementaires, les associations de victimes, etc.… sans convaincre au final que la France serait parmi les pourfendeurs de la liberté religieuse à cause de sa politique contre les dérives sectaires. (…) »

Lire aussi, dans Bakchich, sur le rapport de la Miviludes et le satanisme, l'article

Les satanistes, de bons petits diables ?

[1] http://www.hrwf.net/network/home.html

[2] http://www.ihf-hr.org/index.php

[3] http://www.religionandpolicy.org/

[4] Cf. infra : notes bas de page n° 26 et 36

[5] Branche des « chrétiens conservateurs » de la mouvance évangélique américaine.

[6] Cf. infra : note bas de page n° 36.

[7] Cf. infra : note bas de page n° 45.

[8] in Le Monde Diplomatique /mai 2001, d'après un texte de Stephen A. Kent dans le Marbourg Journal of Religion – Université d'Alberta Canada