SECTES - A Genève, l'ONU a repoussé cet été une tentative d'infiltration en ses murs par un organisme d'obédience scientologue. Une illustration des stratégies d'influence déployées par certains groupes à connotation sectaire, aux fins d'instrumentaliser les institutions, selon la spécialiste de la FECRIS.
Le 28 août 2009, la Tribune de Genève consacrait un important article à la mise en échec, par l'ONU, d'une tentative d'infiltration dans ses locaux de Genève par la multinationale scientologue. Cette prise de position de l'organisation onusienne a été répercutée dans le monde entier tant elle fut exemplaire. Pour mémoire, le vendredi 28 août, l'organisation «Des Jeunes pour les droits de l'homme international» YHRI, organisait, conjointement avec l'ONG Village Suisse, une grande manifestation à l'occasion du 6e Sommet annuel international des droits de l'homme 2009. Il faut savoir qu'YHRI dépend de la Scientologie, bien que celle-ci s'en défende tout en disant soutenir les mêmes valeurs morales, et s'attaque à un angle très prisé par les sectes, celui des droits de l'homme. YHRI sillonne l'Europe et délivre des messages d'éducation aux droits de l'homme, enregistre une vidéo superbe passant en revue les articles de la Déclaration universelle des droits de l'homme déclinés et illustrés par des jeunes, sains, beaux et de toutes races et couleurs.
Quant à l'ONG Village Suisse, il s'agit d'une organisation non gouvernementale ayant un statut consultatif à l'ONU, le statut ECOSOC. Ce titre donne des droits à l'ONG accréditée qui peut faire entendre sa voix dans les diverses commissions de l'organisation onusienne. Cela ne présente aucun intérêt pour la Scientologie. Par contre, utiliser des locaux mis à disposition pour organiser des conférences ou des réunions, obtenir des documents et avoir accès aux documents de presse répond à ses objectifs. C'est là qu'entre en jeu l'ONG Village Suisse. Elle est le Cheval de Troie. C'est elle qui formulera la demande à l'ONU.
Grâce à la vigilance d'ONG «non contaminées», l'ONU s'aperçoit du stratagème et refuse ses locaux à la manifestation, qui se replie alors sur les salons de l'Hôtel Intercontinental, tout en annonçant sur son invitation «à l'occasion de la semaine des droits de l'homme aux Nations Unies, Village Suisse, ONG ayant un Statut Consultatif à l'ONU (ECOSOC) organise avec Des Jeunes (sic) pour les Droits de l'Homme International le 6e Sommet, etc.». La stratégie de séduction du public est claire. On va lire «Nations Unies», «des jeunes», «droits de l'homme». Des sujets d'actualité. La caution d'un organisme prestigieux fait le reste. On ne se méfie pas d'une ONG à but humanitaire.
Voilà clairement établie une des stratégies de la Scientologie pour conquérir son public, à défaut de la planète, bien que cela soit un des objectifs poursuivis. Pour cela, une somme de «cibles vitales»dans lesquelles il faut investir temps et argent est définie dans les écrits de Ron Hubbard, le fondateur de la multinationale: - Prendre le contrôle ou obtenir l'allégeance des dirigeants et propriétaires de tous les médias d'actualités;
- Contrôler ou obtenir l'allégeance de personnalités politiques clés. L'avocat américain Graham Berry, véritable «bête noire» de la Scientologie, cite des noms prestigieux dans son pays. Il en est de même dans nos pays européens;
- Utiliser des groupes similaires comme alliés. Il y a donc bien des «réseaux» d'influence. L'OSCE, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, organisme créé en 1973 et constitué sous sa forme actuelle en 1999 pour ouvrir puis maintenir le dialogue entre tous les pays européens dans le respect des droits de l'homme et de la démocratie, tient annuellement la conférence de son Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) à Varsovie. Le BIDDH est l'une des trois institutions de l'OSCE susceptible d'oeuvrer contre les «manifestations d'intolérance et les pratiques discriminatoires» et de protéger la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction.
C'est le rendez-vous annuel des groupes à dérives sectaires, ou sectes, se réclamant de l'appellation religieuse pour pouvoir venir, sans aucune vergogne, s'asseoir aux côtés de réelles victimes de gouvernements au comportement totalitaire pour se plaindre de «manifestations d'intolérance et pratiques discriminatoires» à leur encontre. On y voit, tous les ans, la Scientologie, Moon, les Raëliens, les Témoins de Jéhovah, les Hare Krishna, entre autres, unis contre ceux qui les «victimisent», dont l'organisation française la MIVILUDES, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, qui dépend du cabinet du Premier Ministre, François Fillon, et la FECRIS, Fédération européenne des centres de recherche et d'information sur le sectarisme, qui fédère plus de 50 associations européennes. Les premiers ne demandent rien moins que la dissolution de ces organisations de défense des victimes de leurs dérives.
A l'intérieur de l'OSCE, des réseaux d'influence permettent à ces groupes de pratiquer un lobbying intensif et de pouvoir ainsi être «très attentifs à la composition du panel d'experts du BIDDH sur la liberté de religion et de croyance»1. Lors de la dernière session de septembre 2009, à Varsovie, le Président de la FECRIS fut vertement rabroué par la modératrice, Mme Elena Miroshnikova, professeur au département d'études religieuses à l'université de Toula, en Russie, pour avoir employé le mot «secte». Puis la modératrice passa la parole à un représentant de la Scientologie. Le 20% des intervenants de cette session provenaient de mouvements sectaires!
L'appel à la caution de sociologues, historiens des religions ou autres experts universitaires est aussi une pratique courante dans ces réseaux lobbyistes. Pas étonnant puisque certains d'entre eux, en Suisse comme ailleurs, les soutiennent dans leur volonté d'être reconnus comme «religion». Le lobbying au sein des institutions européennes et onusiennes conjugué avec le soutien des universitaires a fait que certains pays ont reconnu en tant que religions des sectes estimées dangereuses pour les individus. On peut citer l'Espagne pour la Scientologie, la Bulgarie et l'Arménie pour les Témoins de Jéhovah. Ces groupes ont par ailleurs des procès en cours pour des faits graves. On trouve des requêtes identiques dans les rapports du Département d'Etat américain, à travers sa Commission des libertés religieuses, ainsi qu'à l'ONU ou encore au Conseil de l'Europe.
Dans son rapport de septembre 1999, ladite Commission des libertés religieuses stigmatise la politique européenne de répression des activités criminelles des sectes, la taxant d'atteinte aux libertés religieuses. Ce qui ne manque pas de faire le miel des Raëliens (qui vont régulièrement se plaindre à l'ONU, interpellant l'experte nommée par le Département d'Etat étasunien, Mme Asma Jahangir), et autres Moonistes, Témoins de Jéhovah etc. qui fréquentent assidûment l'OSCE. Cette organisation se met, dès lors, à auditionner un certain nombre de témoins et victimes de la «ségrégation religieuse en Europe» commise par des Etats, des institutions et, bien entendu, nos organisations. Parmi les membres du panel figure l'avocat des Témoins de Jéhovah.
La FECRIS fut elle-même victime des actions de ces mêmes réseaux lobbyistes. Alors que toute ONG se voit attribuer le statut participatif au Conseil de l'Europe dans l'année qui suit le dépôt de sa demande, la FECRIS a du attendre trois années tumultueuses pour l'obtenir. Entre 2002 et 2005, les bureaux du secrétariat des Organisations non gouvernementales du Conseil de l'Europe étaient inondés de littérature destructrice concernant les membres de la FECRIS, des tracts s'empilaient sur les tables et de plus, des dossiers disparaissaient. Impossible sans infiltration ou complicités internes.
Or, à cette époque, quatre personnages arborant un badge de visiteurs ont été repérés fréquentant le bar des parlementaires à chaque session du Conseil (ce que les visiteurs ne font habituellement pas) – «Une dame à cheveux blancs qui fume clope sur clope, un bellâtre à chemise turquoise, un chauve respectable et un jeune loup en costard», selon le journaliste Antonio Fischetti2. Pas difficile de monter ensuite dans les étages et de pénétrer dans les bureaux, toutes les portes étant ouvertes et les bureaux souvent vides durant les sessions parlementaires. En avril 2001, un groupe de parlementaires signe une déclaration dénonçant les menaces sur la liberté religieuse en France. En novembre 2002, une résolution invite le gouvernement français à revoir la loi About Picard3. En janvier 2003, une déclaration recommande les bienfaits de Narconon, le centre de désintoxication pour toxicomanes de la Scientologie. Coïncidence? On a de la peine à le croire.
Pour en revenir à l'article d'Alain Jourdan dans la Tribune de Genève du 28 août 2009, il mentionne ceci: «Les anti-sectes vont siéger avec les ONG». Effectivement, la FECRIS, qui jouit déjà du statut participatif auprès du Conseil de l'Europe, a obtenu le statut spécial ECOSOC en août dernier. Qu'en attend-elle? Elle sera représentée à New-York, Genève et Vienne, dans les sessions concernant le respect des droits de l'homme, de la femme, de l'enfant. Ces deux derniers étant les victimes dont on parle le moins. Or le travail abusif, l'exploitation sexuelle, les mauvais traitements, voire la pédophilie ne sont pas absents du comportement abusif des groupes déviants. Sans oublier la précarité et le manque de couverture sociale la plupart du temps. Il est donc important que les représentants de la FECRIS rappellent aux gouvernements représentés tant à l'ONU qu'aux institutions européennes que ces problèmes sont bien réels, qu'ils font des victimes et qu'il faut agir. Les sectes sont présentes dans les institutions européennes et internationales, certaines y sont reconnues comme ONG, leur infiltration dans les instances politiques est claire et pas seulement limitée à l'Europe de l'Ouest.
La chute du Mur de Berlin a permis un déferlement de ces groupes dans les pays de l'Est. La Croatie est infestée par la Scientologie, la Méditation transcendantale, etc. La Russie est un terrain de choix où l'on ne compte plus les mouvements. Les autres pays de l'Est ne sont pas épargnés. Moon, Brahma Kumaris, Soka Gakkai, entre autres, sont à l'ONU depuis des années. La FECRIS souhaite faire le contrepoids à ces «groupes dont le comportement constitue un véritable défi aux droits de l'homme, dès lors qu'ils se réfugient derrière un droit – la liberté de religion – pour mieux en bafouer d'autres» et qui instrumentalisent les institutions internationales et européennes dans le seul but «de figurer dans les actes de leurs travaux, et par-là même acquérir une légitimité»4. I
Note : * FECRIS, Fédération européenne des Centres de recherche et d'information sur le sectarisme, déléguée au Conseil de l'Europe fecris.org.
1 MIVILUDES, Rapport au premier ministre 2007, La documentation française.
2 Charlie Hebdo – Hors série, «La secte la plus bête du monde», Antonio Fischetti, mai 2004.
3 Loi française de 2001, qui «tend à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires, portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales», ndlr.
4 Déclaration d'un représentant de la FECRIS à L'OSCE, Varsovie, septembre 2007.